mardi 30 août 2011

Trop d'antibiotiques pendant l'enfance = danger plus tard


Leur consommation augmente les risques d'obésité, de diabète voire de certains cancers digestifs.


Les antibiotiques sont décidément un sujet de préoccupation pour les scientifiques. Depuis des années, ils s'alarment de la diffusion des résistances des bactéries à ces médicaments, et de leurs conséquences pour la santé publique. Le constat a même conduit récemment des professionnels de tous horizons et des spécialistes de l'environnement à créer une Alliance francophone contre le développement des bactéries multirésistantes. C'est un problème tout autre, mais aussi inquiétant que pointe du doigt le Pr Martin Blaser de l'université de New York: celui des liaisons dangereuses entre l'abus d'antibiotiques et la croissance épidémique de maladies chroniques comme l'obésité, l'asthme ou encore le diabète de type 1 (insulino-dépendant).

Dans un article publié dans la revue Nature du 25 août, titré «Arrêtez le massacre des bactéries bénéfiques», ce spécialiste des maladies infectieuses affirme qu'en moyenne un enfant habitant dans un pays développé a reçu 10 à 20 cures d'antibiotiques avant ses 18 ans. Or, insiste-t-il, il y a de plus en plus de preuves qu'une antibiothérapie, même courte, peut modifier durablement voire définitivement la composition de la flore intestinale. En clair, les antibiotiques éliminent les «mauvaises» bactéries, responsables d'infections, mais potentiellement aussi certains des germes utiles qui colonisent notre tube digestif (*). Un remodelage qui pourrait avoir de sérieuses conséquences à long terme. Premier exemple frappant : les Helicobacter pylori. Au début du XXe siècle, ces bactéries étaient le germe dominant dans l'estomac de la plupart des humains, écrit le Pr Blaser. Actuellement, moins de 6% des enfants américains ou européens en sont porteurs. «Une seule cure d'amoxicilline ou de macrolides, les antibiotiques les plus couramment prescrits dans les infections respiratoires ou les otites infantiles, peut éradiquer les Helicobacter pylori dans 20 à 50% des cas», note ce spécialiste.

Certes, cette évolution a de bons côtés puisque les Helicobacter sont un facteur de risque des ulcères et des cancers de l'estomac. Mais le revers de la médaille pourrait bien être l'augmentation de fréquence d'un autre trouble digestif, le reflux gastro-œsophagien, et d'allergies tels l'asthme ou le rhume des foins. De grandes études ont observé que les individus non porteurs d'Helicobacter sont plus susceptibles de développer diverses allergies, relève ainsi le Pr Blaser. D'autres travaux, chez des enfants, ont suggéré que le risque de maladies inflammatoires du tube digestif était proportionnel au nombre de fois où ils avaient pris des antibiotiques.

Les antibactériens pourraient aussi être impliqués dans la vague actuelle d'obésité, par le biais de la modification de la flore intestinale qu'ils induisent. Les éleveurs savent depuis longtemps que de petites doses de ces médicaments, administrées au long cours, permettent d'accélérer la prise de poids des animaux sans les nourrir davantage. C'est pourquoi les antibiotiques sont largement utilisés dans les élevages américains comme facteurs de croissance (cette pratique a été en revanche interdite en Europe). «Plus les antibiotiques sont commencés tôt, plus leurs effets sont marqués», souligne le Pr Blaser qui pense qu'il en va de même chez l'homme. Chez des souris, ce chercheur a en tout cas pu démontrer que les antibiotiques induisent des modifications des graisses tissulaires, et ce qu'ils soient délivrés avec les mêmes modalités que dans les élevages ou à forte dose sur une période courte, comme pour traiter une infection aiguë.

«Il devient de plus en plus évident que la flore intestinale joue un rôle capital comme moteur de certaines maladies telles l'obésité ou les cancers colorectaux», confirme le Pr Patrick Berche, microbiologiste à l'hôpital Necker (Paris).

Face à ces nouvelles menaces, le Pr Blaser appelle à limiter au maximum le recours aux antibiotiques dans la petite enfance, et même pendant la vie intra-utérine. Il propose aussi de développer des produits spécifiques aidant à stabiliser la flore microbienne et de concevoir des antibiotiques avec un spectre d'action étroit, pour minimiser leurs effets collatéraux sur les bactéries digestives. Le microbiologiste américain suggère même d'inoculer aux enfants certaines souches d'Helicobacter pour prévenir le risque d'asthme, puis de les éliminer ensuite avec des antibiotiques pour réduire les risques d'ulcère et de cancer de l'estomac. Cette hypothèse laisse toutefois sceptique le Pr Berche.