Unités de base du système nerveux, les neurones nous permettent de ressentir, penser, parler et agir grâce aux influx nerveux qu'ils véhiculent. Les quelques milliers de milliards de cellules nerveuses de notre corps se connectent les unes avec les autres pour que nous puissions accomplir des tâches complexes et précises, tant mentales que physiques. Cependant, comme toute autre cellule de notre organisme, il arrive que les neurones montrent des défaillances. Les conséquences d'un dysfonctionnement neuronal dépendront du type de neurone touché et de l'ampleur de la défaillance.
La maladie de Parkinson est un exemple de maladie liée à un dysfonctionnement neuronal. Dans le cas de cette affection, ce sont principalement les neurones dopaminergiques qui sont en cause. Ces neurones se situent au niveau de la substance noire compacte et de l'aire tegmentale ventrale du cerveau. Selon leur localisation, les neurones dopaminergiques sont impliqués dans divers mécanismes. " Dans l'aire tegmentale ventrale, ils jouent un rôle dans le circuit de la récompense et dans les mécanismes d'addiction ", explique Guillaume Drion, doctorant en sciences biomédicales et pharmaceutiques au GIGA-Neurosciences. " Au niveau de la substance noire, ils sont impliqués dans le contrôle des mouvements ", poursuit le jeune chercheur. Dans le cas de la maladie de Parkinson, ce sont donc ces derniers qui intéressent les scientifiques.
Comme leur nom l'indique, les neurones dopaminergiques produisent et libèrent de la dopamine. Ce neurotransmetteur, selon qu'il est présent en petite ou en grande quantité au niveau de la synapse qui sépare deux neurones, va avoir différents effets sur le neurone suivant. Si peu de dopamine est libérée, seuls les récepteurs inhibiteurs de ce neurone seront activés. Si une grande quantité de dopamine se retrouve au niveau de la synapse, ce neurotransmetteur va également aller se fixer sur les nombreux récepteurs excitateurs du neurone suivant. L'effet de la dopamine sera alors globalement excitateur et entraînera l'initiation d'un mouvement.
Les tremblements, sous le contrôle de l'activité électrique spontanée
Pour que la dopamine soit libérée par un neurone dopaminergique, il faut que celui-ci présente une activité électrique. Suite à un stimulus, les ions qui se trouvent naturellement à l'extérieur et à l'intérieur des neurones vont passer de part et d'autre de la membrane neuronale et provoquer l'apparition d'un potentiel d'action que l'on appelle également " influx nerveux ". Celui-ci se propage le long de l'axone des neurones et, lorsqu'il arrive au bout d'un neurone, aboutit à la libération d'un neurotransmetteur. C'est ce messager chimique qui permet d'influencer l'excitabilité du neurone qui se situe en aval. L'information est ainsi transmise d'un neurone à l'autre.
Alors que l'activité électrique de la plupart des neurones apparaît suite à un stimulus, les neurones dopaminergiques, eux, présentent également une activité électrique spontanée. " Même en l'absence de stimulus, on observe une production spontanée de potentiels d'action par ces neurones ", indique Guillaume Drion. " C'est cette activité électrique spontanée qui permet d'assurer des mouvements harmonieux ", continue-t-il. Lorsqu'un pourcentage important de neurones dopaminergiques dégénère, la production de dopamine devient insuffisante et il n'y a alors plus de contrôle fin des mouvements, d'où l'apparition de tremblements et d'une lenteur du mouvement, voire d'une incapacité à l'initier. C'est le problème observé chez les patients atteints de la maladie de Parkinson. Pourquoi les neurones dopaminergiques de certaines personnes dégénèrent-ils ? Comment contrer cette défaillance ? Pour le savoir, il est nécessaire d'étudier en profondeur l'activité électrique des neurones dopaminergiques et plus précisément leur activité électrique spontanée.
Le calcium, allié ou ennemi ?
Dans le cadre de son doctorat, et sous la supervision de ses promoteurs Rodolphe Sepulchre et Vincent Seutin, Guillaume Drion s'est intéressé à l'effet de l'entrée des ions calcium au sein des neurones dopaminergiques lors de leur activité électrique spontanée. " Des groupes de recherche se sont rendus compte que l'entrée de calcium peut rendre les neurones dopaminergiques vulnérables ", explique le doctorant. Lorsque le calcium entre dans la cellule nerveuse, il y joue un rôle de signalisation, il y déclenche d'autres réactions en cascade. " Mais la cellule ne peut garder de trop grandes quantités de calcium dans son cytoplasme, sinon elle meurt ", précise Guillaume Drion. " Chaque entrée de calcium demande donc aux neurones de l'énergie pour faire diminuer la concentration cytoplasmique de Ca. Plus il y a de Ca qui entre, plus le neurone dépense de l'énergie pour pomper ce calcium vers des réservoirs ou vers l'extérieur de la cellule ce qui représente un stress pour cette dernière ", poursuit le chercheur. Pour peu que le métabolisme du neurone soit insuffisant pour assumer cette production d'énergie nécessaire à l'élimination du Ca, le neurone dégénère.
Les scientifiques se sont donc penchés sur la question suivante : peut-on éviter la dégénérescence des neurones dopaminergiques en bloquant les canaux calciques empruntés par le calcium pour entrer dans la cellule ? " Cette question est étudiée depuis plus de 17 ans mais les observations expérimentales ont donné des résultats tout à fait contradictoires ", indique Guillaume Drion. Certaines études ont conclu que bloquer les canaux calciques entraînait un arrêt de l'activité électrique spontanée des neurones dopaminergiques, ce qui les empêche de produire une quantité constante de dopamine nécessaire au contrôle des mouvements. D'autres études sont arrivées à la conclusion inverse : bloquer les canaux calciques n'a aucun effet sur l'activité électrique spontanée de ces cellules nerveuses.
Modélisation mathématique et expériences, des approches complémentaires
Pour tenter de résoudre cette question, les chercheurs de l'ULg ont décidé de l'aborder avec une double approche : la modélisation mathématique et l'expérimentation. " La modélisation mathématique permet de comprendre les mécanismes qui régulent l'activité spontanée des neurones dopaminergiques car elle permet de jouer avec des paramètres que l'on ne connaît pas ou que l'on ne sait pas modifier au cours des expériences ", précise Guillaume Drion. Le modèle mathématique utilisé pour cette étude a été développé à l'ULg sur base du modèle Hodgkin-Huxley, largement utilisé en neurosciences. " C'est un modèle très simple qui permet de reproduire l'activité électrique des neurones dopaminergiques ", poursuit Guillaume Drion.
A côté de la modélisation mathématique, l'activité électrique de ces neurones a également été étudiée dans une préparation de coupes de cerveau de rat. Les résultats obtenus grâce à l'utilisation combinée de ces deux méthodes ont permis aux chercheurs de l'ULg de clarifier la question de l'importance des canaux calciques pour l'activité électrique spontanée des neurones dopaminergiques. Ils sont publiés dans la revue PLoS Computational Biology. " Nos recherches nous ont permis de conclure que les canaux calciques sont actifs au cours de l'activité spontanée mais pas toujours indispensables ", révèle Guillaume Drion.
Quand les canaux ioniques se relayent
En réalité, outre des canaux calciques, la membrane des neurones dopaminergiques est aussi équipée de canaux sodiques pour le passage des ions sodium. Ces derniers sont également importants pour l'activité électrique des neurones. " Ces deux types de canaux sont complémentaires. S'il y a une diminution de la conductance calcique, les canaux sodiques permettent de maintenir l'activité électrique spontanée ", explique Guillaume Drion. Mais la capacité des canaux sodiques à prendre le relais en cas de " panne " des canaux calciques dépend de leur nombre à la surface des neurones. " Ce nombre n'est pas constant, il varie d'un neurone à l'autre et lorsque la quantité de canaux sodiques est faible, ils ne suffisent pas à maintenir l'activité électrique spontanée ", continue le scientifique. Difficile donc de prédire la quantité de neurones dopaminergiques qui pourra garder une activité électrique spontanée si on bloque leurs canaux calciques... De plus, outre son rôle dans l'activité électrique, le calcium qui entre dans les neurones y joue aussi un rôle de signalisation afin que ceux-ci puissent réagir à d'autres stimulations. " L'empêcher d'entrer pourrait perturber la biochimie de la cellule ", souligne Guillaume Drion. A ce stade de la connaissance de l'activité électrique des neurones dopaminergiques, on ne peut affirmer que le fait de bloquer les canaux calciques soit une bonne piste pour lutter contre la maladie de Parkinson. Guillaume Drion et ses collègues sont d'ores et déjà en train d'étudier l'importance du calcium intracellulaire pour la régulation de l'activité des neurones en conditions physiologiques. " Beaucoup de choses doivent encore être analysées, tant au niveau de l'activité spontanée que du comportement in vivo ", conclut-il.
Source :Université de Liège - Site internet Reflexions :http://reflexions.ulg.ac.be/cms/c_5236/accueil