samedi 28 janvier 2012

Le syndrome du Dr House


Le syndrome du Dr House est le titre donné par Justine Canonne à article relatant les résultats de l’expérience menée par l’équipe du chercheur Jean Decety, du département de psychologie de l’université de Chicago, étude selon laquelle les médecins seraient plus insensibles à la douleur d’autrui que la moyenne des individus.

L’équipe de chercheurs propose à des médecins et à des non-médecins (groupe témoin), dont l’activité cérébrale est observée par un électroencéphalogramme, de regarder des photos de personnes qui sur différents endroits du corps sont soit piquées par une aiguille, soit touchées par un coton-tige.

L’expérience révèle que la réaction cérébrale première et automatique d’empathie observée sur le groupe témoin et aussi habituellement observée chez des personnes regardant une autre souffrir, est supprimée chez les médecins. Pour Jean Decety, « la régulation de l’émotion est essentielle aux praticiens exposés à la souffrance d’autrui, car elle tempère des sentiments contreproductifs d’inquiétude ou de crainte, dégageant ainsi une pleine capacité d’assistance envers autrui ». Parce que ce besoin de supprimer toute réaction émotionnelle peu avoir des effets pernicieux sur le médecin ainsi que sur ses relations avec ses patients, Jean Decety conclut : « Les médecins ont ainsi comme défi de trouver le “bon équilibre” dans leurs réactions émotionnelles et cognitives à l’égard de la douleur du patient . »

Le Dr House est le nom d’une série télévisuelle qui met en scène un médecin, le Dr Gregory House incarné par l’acteur Hugh Laurie. Présentée comme une enquête policière, la recherche de la maladie et du bon traitement font l’objet d’une étude minutieuse. L’intrigue plonge le téléspectateur dans le corps du patient, à la découverte de la source du problème. Sorte de Sherlock Holmes de la médecine, le Dr House, passionné par les énigmes médicales, se révèle à chaque épisode un diagnosticien hors pair. Le succès de la série doit pour une grande part à la psychologie du personnage déformée par la douleur chronique ; Le Dr House souffre en effet d’une claudication provenant d’une douleur chronique à la jambe droite due à un infarctus consécutif à un anévrisme thrombosé qui a coupé la circulation dans la jambe. Il marche avec une canne et abuse de vicodin, un analgésique opiacé à base de et d’hydrocodone, pour soulager sa douleur.

Personnage misanthrope, arrogant, cynique, anticonformiste et asocial, il demeure éminemment sympathique par l’effet cathartique qu’il produit chez les téléspectateurs, notamment en endossant pour eux des comportements qui satisfont leurs pulsions immorales, sadiques, agressives, et leurs désirs de toute puissance, ou à d’autres moments par la satisfaction qu’il procure en souffrant d’une douleur qui expie, à leur place, ses excès d’orgueil et de cruauté vis-à-vis de ses patients.

Il est intéressant que les scénaristes en créant leur personnage aient éprouvé le besoin de lui infliger une douleur chronique qui vienne entretenir sa vulnérabilité. Comme s’ils avaient eu la crainte qu’il ne succombe sans elle à égoïsme et à sa toute puissance et qu’il y perde au final toute parcelle d’humanité. Sa douleur serait-elle garante de humanité et de sa finitude ?

Cette sorte d’archange déchu ne fait-il pas écho à notre ancienne toute puissance infantile. Une toute puissance infantile que nous n’aurons jamais, après tout, quitté avec plus ou moins d’ambivalence.

Par des chemins de travers de façon plus ou moins sublimée, cette puissance infantile est toujours là, dans l’attente d’être assouvie, au point que insatisfaction et la frustration qui s’en suit laissent émerger les attentes, les demandes. La douleur chronique de nos patients révèle souvent la malice d’un symptôme qui berce nos illusions thérapeutiques et se gausse de nos attentes insatisfaites. Le pied de nez ainsi infligé à nos connaissances, à nos technicités, semble nous rappeler que le savoir acquis aux contacts des patients douloureux chroniques ne se fait qu’à pouvoir supporter et dépasser nos frustrations infantiles et avec elles nos rêves de grandeur.
Decety J, Yang CY, & Cheng Y (2010) Physicians down-regulate their pain empathy response : an event-related brain potential study, NeuroImage, 50 (4)