Les personnes opérées sous anesthésie générale peuvent présenter des troubles cognitifs comme des pertes de l’orientation spatiale ou temporelle, dans les heures ou les jours qui suivent. Cela peut survenir chez les patients de tous les âges, la plupart du temps de manière rapidement réversible. Ces déficits sont connus sous le terme de déclin cognitif post-opératoire. Cependant, l’origine de ces troubles, qui peuvent persister jusqu’à trois mois chez les patients de plus de 70 ans,est mal connue. Bien que les produits anesthésiques soient suspectés, aucune étude n’a établi à ce jour les mécanismes cellulaires susceptibles d’expliquer ces observations cliniques.
Effets des anesthésies successives au sévoflurane
Une équipe de l’Inserm a voulu en savoir plus. Pour cela, elle a testé l’administration répétée de sévoflurane chez des souris. Il s’agit d’un gaz inhalé couramment utilisé par les anesthésistes. Une vingtaine d’animaux a reçu le produit ponctuellement à différentes doses. Après l’anesthésie, les auteurs ont constaté une modification des protéines Tau, impliquées dans la dégénérescence des neurones associée à la maladie d’Alzheimer. Après 24 heures, ces protéines avaient retrouvé une activité normale.
Dans une autre série d’expériences, les scientifiques ont administré, toujours chez la souris, cinq doses successives de sévoflurane à un mois d’intervalle. "Compte tenu du fait que l’espérance de vie d’une souris est d’environ deux ans, on pourrait comparer ce rythme avec une anesthésie tous les 3 ou 4 ans chez l’homme, explique Luc Buee, qui a dirigé cette étude (Unité Inserm 837 à Lille). Or chez les patients âgés, des opérations successives en cas de fracture, de pose de prothèse ou encore de chirurgie cardiaque ou autres ne sont pas improbables". A l’issue des cinq administrations, ils ont constaté que les modifications survenues sur les protéines Tau étaient devenues irréversibles. En outre, ces souris présentaient des troubles importants de la mémoire.
"Les modifications survenant sur les protéines Tau étaient déjà connues en cas d’anesthésie. On les retrouve par exemple dans le liquide céphalo-rachidien des patients opérés mais nous pensions que cela était dû à la baisse de la température corporelle qui suit l’endormissement. Or, nous avons maintenu la température des animaux anesthésiés à 37°C pendant toute l’expérience. Donc c’est bien l’agent anesthésique qui déclenche ces mécanismes associés à des troubles de la mémoire irréversibles chez la souris en cas de doses répétées", insiste Luc Buee.
Qu’en est-il chez l’homme ?
Ces travaux soulèvent donc des pistes de recherche sur l’administration des agents anesthésiques . "Il ne faut certainement pas faire de conclusion hâtive. Nous devons vérifier si tous les agents anesthésiques ont un effet similaire chez la souris, si des modèles différents de souris donnent les mêmes résultats et, chez l’homme, si l’on peut déjà identifier les produits les mieux tolérés. Il ne faudrait pas que des anesthésies, surtout répétées puissent par exemple accélérer une maladie d’Alzheimer naissante". Dans un premier temps, l’équipe a soumis ces résultats originaux à des épidémiologistes pour déterminer comment rechercher avec rigueur chez l’homme un problème qui peut avoir été sous-estimé jusqu’à ce jour.
Ces travaux ont été réalisés et soutenus dans le cadre du LABEX (laboratoire d'excellence, programme Investissements d'avenir) DISTALZ (Développement de stratégies innovantes pour une approche transdisciplinaire de la maladie d'Alzheimer)
Source
Le Freche et coll. "Tau phosphorylation and sevoflurane anesthesia: a link to postoperative cognitive impairment". Anesthesiology(2012) doi: 10.1097/ALN.0b013e31824be8c7